La pomme rouge

Chaque automne je suis surprise de trouver assez de pommes sans vers.  Je ne m’occupe pas de mes vieux pommiers, je les taille de temps en temps sinon je laisse la nature faire son travail.  Je partage les fruits qui mûrissent avec les oiseaux et les biches qui semblent apprécier les pommes qui tombent par terre ainsi que les feuilles des branches basses, elles ne se gênent pas non plus de cueillir les fruits directement sur les arbres, si il n’y en a aucune sur le sol.  Il y a aussi une créature mystérieuse qui fréquente le jardin.  Un soir que ma fille rentrait tard et tournait dans notre allée, ses phares de voiture éclairaient une forme grise avec un dos bossu qui y traversait rapidement pour aller se réfugier chez les voisins.  La forme de l’animal lui fit penser à un porc épic, moi à un blaireau quand elle m’en parla, mais ces animaux ne vivent pas dans notre région.  Plus tôt dans la semaine j’avais remarqué dans le jardin parmis les vestiges des biches un nouvel excrement en forme de cigare, je m’étais demandée quel animal avait passé.  Après la rencontre nocturne de ma fille, je décidais de rechercher sur internet l’identification de l’animal.  Notre créature “mythique” prouva d’être: Procyon Lotor ou mieux connu sous le nom de raton laveur. J’annonçais ma découverte à ma fille, sa réaction me fit rire: “Les ratons laveurs sont mignons quand ils sont petits, mais effrayants quand ils sont grands ou gros.”  Elle regard trop de film d’horreur. Je me moque d’elle mais je n’ai aucune envie de surprendre un raton laveur car ils ont des dents pointues. Nous vivons dans un endroit rural où il n’y a pas de lampadaires dans notre rue, donc je préfère rester chez moi quand il est tard.

Cela faisait quelques jours que j’étais rentrée à la maison après m’être absentée pendant tout le mois de septembre.  Pendant mon absence il y a eu des orages avec des éclairs puissants ce qui est plutôt rare au Nord Ouest du Pacifique, une tempête de vent et bien sûr de la pluie.  Ma première semaine de retour à la maison se passa sous le soleil. Je repris ma routine de sortir avec le chien, pendant cette belle saison d’automne je profite de me servir directement sur le pommier ma pomme du jour.  Me dirigeant vers le devant de la maison où se trouvent mes arbres fruitiers je remarquais à quel point l’herbe avait poussé et combien elle était verdoyante, le temps plus frais et la pluie avaient ranimé le pré.  Il n’y avait aucunes pommes sur le sol, seulement les preuvent de passage des biches. Alors que je levais les yeux pour décider sur quel arbre j’allais cueillir mon fruit, une grosse pomme rouge attira mon regard. Elle brillait au soleil, suspendue à une haute branche qui poussait droite, tendue comme une main levée, au milieu d’un pommier qui était dénudé de fruits. «J’aurais dû l’élaguer» pensai-je.  En admirant la couleur rouge foncé, je me demandais comment je pourrais l’avoir avant qu’elle ne tombe au sol et ne devienne un aliment pour les biches. Cette pomme était grande et attrayante, son rouge, ma couleur préférée, me faisait signe, me narguais même, brillant contre le bleu du ciel. Cette pomme allait certainement être à moi, pourquoi ne resterait-il qu’une seule pomme si elle n’était pas censée devenir la mienne?  Je ne pouvais pas utiliser une échelle car il y avait trop de branches qui s’entrecroisaient dessous, j’aurais des égratignures et je risquerais d’endommager toutes les petites branches, je ne voyais aucun endroit où appuyer une échelle. Je venais d’entendre une histoire sur la façon dont les ratons laveurs de Toronto sont devenus très intelligents grâce au challenge des poubelles verrouillées que la ville avait acheté pour combattre ces fouilles poubelles.  Je pensais qu’il n’était pas possible que je sois moins intelligente qu’un raton laveur de la ville, comme eux je pourrais trouver une solution pour acquérir ce que je désirais ou convoitais. Il fallait absolument que je trouve une solution pour que cette pomme soit la moins endommagée possible à son atterrissage. En tant qu’être humain, j’avais beaucoup de choses à faire après mon absence, comparée aux ratons laveurs qui eux ne pensait qu’à trouver leur prochain repas.  Mon esprit travaillait et fut occupée par d’autres choses les jours suivant donc je reléguais le problème au prochain matin.  Chaque matin, je sortais mon chien et j’allais vérifier l’arbre pour voir si mon prix était toujours la, je voulais voir si j’avais raté ma chance de gagner la course à la Pomme.  Un de ces matins, pendant que j’allongeais ma nuque pour admirer ma pomme, mon ancienne éducation catholique chuchota dans mon oreille: “Adam et Eve, souviens toi de ce qu’il leur est arrivé parce qu’il convoitaient une pomme.”  Je rejetais cette pensée, il y a assez de pommes à partager avec le reste des créatures de Dieu, ils pouvaient se passer de celle-ci. Je ne pense pas qu’ils se soucient non plus de quelle couleur leur pommes sont. Je décidait à ce moment là d’aller chercher un crochet et d’abaisser doucement la branche.  Je sentais que plus je passais de temps à jouer, plus ma chance de gagner était mince. Mon hypothèse était que je pourrais peut-être abaisser la branche afin que la pomme rouge tombe d’une plus basse altitude et que l’ecchymose soit plus petite donc que j’aurais plus de chair à manger. Tandis que j’accrochais la branche très doucement, j’imaginais mes dents qui mordaient déjà sa chaire croquante, ma bouche salivait à cette vision.  Mais le mouvement pourtant doux de la branche causa la pomme de se détacher de sa hauteur, elle tomba très vite et atterrit avec un bruit sourd à quelques centimètres de moi. “Eh bien”, pensai-je, “heureusement qu’elle ne m’est pas tombée sur la tête, l’ecchymose sera juste plus grosse, mais c’est une grosse pomme, donc il y aura assez de chaire à manger.”  En me penchant pour ramasser ma belle pomme rouge je remarquais qu’elle avait une forme étrange.  La gravité avait évidemment fait son travail, ma pomme rouge n’était plus un beau globe rond mais un demi-globe à moitié écrasé.  En la retournant, je vis que ce n’était pas la faute de la gravité, mais que les oiseaux en avaient picoré la moitié. La branche étant haute et la partie entamée du fruit ayant été tournée vers le ciel, avait été cachée à mes yeux, le temps avait fait le reste, l’oxydation avait créé une grande tache brune.  En me relevant, je me rendis compte que je m’étais divertie, même amusée à penser à la pomme rouge, je n’étais même pas déçue que les oiseaux l’aient atteinte avant moi, le jeu était terminé, il me restait une pomme rouge à moitié mangée, pas du tout appétissante. Je décidais de la laisser ou elle était tombée, un animal la trouverait et apprecierait sa chaire.  Crochet à la main je me retournais et cueillais une pomme jaune et rouge de l’autre arbre, celui-là a encore assez de pommes à savourer. Je pris plaisir à sa chaire juteuse, croquante, sucrée et à la fois acidulée.  Je rejoignis Balto qui attendait que je vienne shooter son ballon rouge.

Y a-t-il une morale à cette histoire? Je pense qu’il y a plusieurs façons de l’interpréter.  Parfois, on ne voit que la moitié de l’histoire, ou on voit ce qu’on s’attend à voir, ou on ne voit que ce que l’on veut voir ou ce que l’on souhaite voir.  Parfois, on convoitise la mauvaise chose, pour la mauvaise raison ou pour aucune raison du tout, passez à autre chose (move on). Transformer une situation en jeu peut faire toute la différence entre ce que nous pensons et le résultat final.  Je n’avais aucun contrôle sur le résultat mais j’avais le contrôle de ma réaction. Le voyage est souvent plus intéressant ou amusant que le résultat ou la culmination de nos efforts.

P.S. Le lendemain matin il n’y avait aucune trace de la pomme rouge, il n’y avait ni preuve de sa présence ni de ma convoitise.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1223534/toronto-capitale-des-ratons-laveurs-au-canada

 

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